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489. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Charron — I » pp. 236-253

Laissons ces discussions sujettes à piège, et exposons dans son ensemble le sens désormais évident et la direction incontenable, tant de la théologie que de la philosophie de Charron. […] Charron fait consciencieusement son devoir comme controversiste, comme prédicateur ; il amasse ses preuves, il fait servir sa philosophie comme une espèce de machine ou de tour pour battre en brèche la place ennemie : puis, quand il estime que la brèche est suffisante, il ordonne et fait avancer ses preuves directes ; mais tout cela sans feu, sans flamme ; on sent toujours l’homme qui a dit : « Au reste, il faut bien savoir distinguer et séparer nous-mêmes d’avec nos charges publiques : un chacun de nous joue deux rôles et deux personnages, l’un étranger et apparent, l’autre propre et essentiel. […] Qu’on veuille bien se reporter au temps : des membres du Parlement comme les Harlay, plus tard les Molé, les Lamoignon, étaient de bons et fidèles sujets, et à la fois ils étaient ou ils se croyaient un peu Romains : il y en avait qui étaient Pompéiens, c’est-à-dire pour Pompée et le parti de la république contre César, ce qui ne les empêchait pas d’être en réalité de bons royalistes ; de même jusqu’à un certain point alors, quand on était homme d’étude et de cabinet, on était stoïcien ou sceptique en philosophie, on était partisan de Sénèque ou d’Épictète ou de Cicéron (selon son goût et son humeur), et l’on était cependant chrétien dans la pratique et l’habitude, dans le cœur même un peu. […] Sapey, dans un Essai sur la vie et les ouvrages de Guillaume du Vair, publié en 1847, a relevé ces imitations ou plutôt ces copies qu’a faites Charron de certaines pages de du Vair, et pour qu’on en pût mieux juger, il a rangé les unes et les autres sur deux colonnes parallèles, par exemple : du Vair Philosophie morale des Stoïques.

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