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2043. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [1] Rapport pp. -218

En vain le fabliau, se haussant jusqu’à la satire générale, deviendra le Roman de Renart, parodique Chanson de Geste, qui sera le premier grand triomphe de l’esprit bourgeois ; en vain, mué en comédie, il nous donnera la Farce de Patelin, considérée comme un chef-d’œuvre par les personnes qui bornent à peu d’horizon l’essor du génie humain ; en vain, ingénieusement spiritualisé et troubadouriquement allégorisé, il se continuera avec des philosophies et des préciosités en des révoltes de « petite oie » et de scholastique dans ce tout-puissant Roman de la Rose, dominateur de deux siècles d’amants, de penseurs et de rimeurs, en qui, parce que Guillaume de Lorris anticipa le Pays de Tendre, et, parce que Jean de Meung, artiste d’ailleurs extraordinairement minutieux et parfait, souleva avec une égrillardise impartiale le conflit entre les sexes, un distingué critique de notre temps, (j’ai nommé M.  […] À moins donc que l’on ne se complaise à voir un éternel et sublime symbole dans le stratagème providentiel, un peu puéril peut-être, qui fait mourir Concini, complice de Ravaillac, sur la borne même d’où Ravaillac donna la mort, il faut renoncer à admirer dans la Maréchale d’Ancre une philosophie véritablement personnelle, et l’on n’y peut rechercher que l’intérêt dramatique et la valeur littéraire. […] Ils s’attachèrent minutieusement, par un appétit d’originalité, qu’ils auraient pu satisfaire sans tant de malice, à différer de Victor Hugo parle choix des sujets, par des évocations de légendes, de philosophies immémoriales ou exotiques, par la recherche de singularités sentimentales. […] Et ce qu’il y avait en lui, selon l’évangile libre-penseur de 1848, de « mangeur de prêtres », se répand en une inimitié, comme ancestrale, contre les cultes et les temples ; il est, se complaisant aux férocités des Bibles et des Corans, le prophète imprécatoire des antiques nations coupables d’humilité ; tout ce qu’il y avait en lui de rage contre les tyrannies qu’il dédaigna de combattre, assaille les trônes d’Orient, se rue aux chaires d’Abbés ou de Papes ; en même temps qu’il oppose les mauvais dévas aux dévas triomphants, non moins haïs, des montagnes célestes, il confronte l’évocation de Satan, noir, dur, funeste, avocassier, aux pompes paisibles et damnées aussi du pontificat suprême, dans la Rome pleine du souvenir des antiques orgies brutales ; il se précipite toujours plus loin dans le passé des histoires et des philosophies ; il s’irrite de ceux qui espérèrent et qui crurent ; entre temps il essaie de pacifier, d’éteindre, dans la neige des mythes scandinaves, sa colère enflammée contre les rites de tous les prêtres infâmes et de tous les croyants imbéciles ; ou bien, dans un coin lumineux de son œuvre, un poignard, à la garde stellée de pierreries, venge à la fois les califes déshonorés et le désespéré amant qu’il fut lui-même.

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