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457. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Œuvres de Frédéric-le-Grand Correspondance avec le prince Henri — II » pp. 375-394

On sait du reste que Frédéric n’était pas le philosophe tout idéal et tout à la Marc Aurèle que les gens de lettres ses amis se hâtèrent de promettre un peu témérairement au monde quand il monta sur le trône ; mais il était réellement philosophe par goût, par bon sens, parce qu’il réduisait chaque chose à la juste réalité, et que, tout en faisant vaillamment son rôle et son métier de souverain, il se séparait à tout instant de cette destinée d’exception pour se juger, pour se regarder soi-même et les autres. […] Il semble qu’on ait tout dit à l’honneur des lettres et pour célébrer la douceur dont elles sont dans les différentes circonstances et aux différents âges de la vie ; il y a longtemps qu’on ne fait plus que paraphraser le passage si connu de Cicéron plaidant pour le poète Archias : « Haec studia adolescentiam alunt, senectutem oblectant… », Frédéric nous offre une variante piquante à cet éloge universel des lettres et de l’étude ; il va jusqu’à prétendre, sans trop de raffinement et d’invraisemblance, que toutes les passions (une fois qu’elles ont jeté leur premier feu) trouvent leur compte dans l’étude et peuvent, en s’y détournant, se donner le change par les livres : Les lettres, écrit-il au prince Henri (31 octobre 1767), sont sans doute la plus douce consolation des esprits raisonnables, car elles rassemblent toutes les passions et les contentent innocemment : — un avare, au lieu de remplir un sac d’argent, remplit sa mémoire de tous les faits qu’il peut entasser ; — un ambitieux fait des conquêtes sur l’erreur, et s’applaudit de dominer par son raisonnement sur les autres ; — un voluptueux trouve dans divers ouvrages de poésie de quoi charmer ses sens et lui inspirer une douce mélancolie ; — un homme haineux et vindicatif se nourrit des injures que les savants se disent dans leurs ouvrages polémiques ; — le paresseux lit des romans et des comédies qui l’amusent sans le fatiguer ; — le politique parcourt les livres d’histoire, où il trouve des hommes de tous les temps aussi fousaf, aussi vains et aussi trompés dans leurs misérables conjectures que les hommes d’à présent : — ainsi, mon cher frère, le goût de la lecture une fois enraciné, chacun y trouve son compte ; mais les plus sages sont ceux qui lisent pour se corriger de leurs défauts, que les moralistes, les philosophes et les historiens leur présentent comme dans un miroir. […] On lit dans une lettre du roi ce bel éloge : « Nous avons eu ici (10 octobre 1784) M. de Bouillé, qui est un homme de mérite, parce qu’il a su allier au mérite d’un bon militaire tout le désintéressement d’un philosophe ; et, quand on est assez heureux de rencontrer des hommes pareils, il faut en tenir compte à toute l’humanité. » Le prince Henri, en recevant M. de Bouillé à Rheinsberg, ne put s’empêcher de s’exprimer devant lui, de s’épancher sur le compte du roi son frère, comme il n’avait cessé malheureusement de penser et de sentir : Il le représentait, dit M. de Bouillé dans des mémoires dont on n’a donné que des extraits57, comme impatient, envieux, inquiet, soupçonneux et même timide, ce qui paraît extraordinaire ; il lui attribuait une imagination déréglée, propre à des conceptions décousues, bien plus qu’un esprit capable de combiner des idées pour les faire judicieusement fructifier.

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