D’Olivet, qui est malheureusement trop bref sur le célèbre auteur, mais dont la parole a de l’autorité, nous dit en des termes excellents : « On me l’a dépeint comme un philosophe, qui ne songeoit qu’à vivre tranquille avec des amis et des livres, faisant un bon choix des uns et des autres ; ne cherchant ni ne fuyant le plaisir ; toujours disposé à une joie modeste, et ingénieux à la faire naître ; poli dans ses « manières et sage dans ses discours ; craignant toute sorte d’ambition, même celle de montrer de l’esprit138. » Le témoignage de l’académicien se trouve confirmé d’une manière frappante par celui de Saint-Simon, qui insiste, avec l’autorité d’un témoin non suspect d’indulgence, précisément sur ces mêmes qualités de bon goût et de sagesse : « Le public, dit-il, perdit bientôt après (1696) un homme illustre par son esprit, par son style et par la connoissance des hommes ; mes ; je veux dire La Bruyère, qui mourut d’apoplexie à Versailles, après avoir surpassé Théophraste en travaillant d’après lui et avoir peint les hommes de notre temps dans ses nouveaux Caractères d’une manière inimitable. […] Ce même Saint-Simon, qui regrettait La Bruyère et qui avait plus d’une fois causé avec lui139, nous peint la maison de Condé et M. le Duc en particulier, l’élève du philosophe, en des traits qui réfléchissent sur l’existence intérieure de celui-ci. […] de l’Homme). » On s’est accordé à reconnaître La Bruyère dans le portrait du philosophe qui, assis dans son cabinet et toujours accessible malgré ses études profondes, vous dit d’entrer, et que vous lui apportez quelque chose de plus précieux que l’or et l’argent, si c’est une occasion de vous obliger. […] La dialectique de ce chapitre est forte et sincère ; mais l’auteur en avait besoin pour racheter plus d’un mot qui dénote le philosophe aisément dégagé du temps où il vit, pour appuyer surtout et couvrir ses attaques contre la fausse dévotion alors régnante. […] Voltaire, à Sceaux, aurait pu questionner sur La Bruyère Malezieu, un des familiers de la maison de Condé, un peu le collègue de notre philosophe dans l’éducation de la duchesse du Maine et de ses frères, et qui avait lu le manuscrit des Caractères avant la publication ; mais Voltaire ne paraît pas s’en être soucié.