Ces deux guerres où un roi eut le malheur de combattre contre ses peuples, furent véritablement l’époque la plus brillante de sa vie. […] Les courtisans le louent par intérêt ; le peuple, par un sentiment qui lui fait respecter tout ce qu’il craint ; les gens à imagination par enthousiasme : alors les orateurs lui vendent leurs panégyriques, les poètes leurs vers. […] Ils l’ont peint comme un esprit souple et puissant, qui, malgré les ennemis et les rivaux, parvint aux premières places, et s’y soutint malgré les factions ; qui opposait sans cesse le génie à la haine, et l’activité aux complots ; qui, environné de ses ennemis, qu’il fallait combattre, avait en même temps les yeux ouverts sur tous les peuples ; qui saisissait d’un coup d’œil la marche des États, les intérêts des rois, les intérêts cachés des ministres, les jalousies sourdes ; qui dirigeait tous les événements par les passions ; qui, par des voies différentes, marchant toujours au même but, distribuait à son gré le mouvez ment ou le repos, calmait la France et bouleversait l’Europe ; qui, dans son grand projet de combattre l’Autriche, sut opposer la Hollande à l’Espagne, la Suède à l’Empire, l’Allemagne à l’Allemagne, et l’Italie à l’Italie ; qui, enfin, achetait partout des alliés, des généraux et des armées, et soudoyait, d’un bout de l’Europe à l’autre, la haine et l’intérêt. […] Ils ont loué ce gouvernement intrépide, qui, en révoltant tout, enchaînait tout ; qui, pour le bonheur éternel de la France, écrasa et fit disparaître ces forces subalternes, qui choquent et arrêtent l’action de la force principale, d’autant plus terribles qu’en combattant le prince, elles pèsent sur le peuple ; qu’étant précaires, elles se hâtent d’abuser ; que nées hors des lois, elles n’ont point de limites qui les bornent. […] Il est des hommes qui pardonnent encore plutôt le mal qu’on fait avec éclat, que le bien qu’on fait avec faiblesse ; d’ailleurs, le rôle que ce ministre joua dans la Fronde ; ses fuites, ses terreurs, sa proscription, source de plaisanteries ; les bons mots des Marigny et des Grammont, espèce d’armes qui soumettent à l’homme d’esprit l’homme puissant, et qu’il est plus aisé de dédaigner en apparence que de ne les pas craindre ; les vaudevilles et les chansons, qui chez un peuple léger communiquent si rapidement le ridicule et l’éternisent, tout cela devait peu contribuer à exciter l’enthousiasme des orateurs.