Les Grecs et les Romains, qui vivaient sous un gouvernement républicain, étaient continuellement occupés de grands intérêts publics : les orateurs appliquaient principalement à ces objets importants le talent de la parole ; et comme il s’agissait toujours, en ces occasions, de remuer le peuple en le convainquant, ils appelèrent éloquence le talent de persuader, en prenant pour le tout la partie la plus importante et la plus étendue. […] Un autre motif a porté les anciens rhéteurs à s’étendre beaucoup sur les règles de l’élocution : leur langue était une espèce de musique susceptible d’une mélodie à laquelle le peuple même était très sensible ; des préceptes sur ce sujet étaient aussi nécessaires dans les traités des anciens sur l’éloquence, que le sont parmi nous les règles de la composition musicale dans un traité complet de musique. […] Carbon s’écria dans une harangue au peuple : O Marce Druse (patrem appello), tu dicere solebas sacram esse rempublicam ; quicunque eam violavissent, ab omnibus esse eis pœnas persolutas : patris dictum sapiens, temeritas filii comprobavit. […] En vain le génie même s’efforcerait de braver à cet égard les opinions reçues ; l’orateur est l’homme du peuple, c’est à lui qu’il doit chercher à plaire ; et la première loi qu’il doit observer pour réussir, est de ne pas choquer la philosophie de la multitude, c’est-à-dire, les préjugés. […] Tous les peuples ont une musique ; le plaisir qui naît de la mélodie du chant a donc son fondement dans la nature : et il y a d’ailleurs des traits de mélodie et d’harmonie qui plaisent indistinctement et du premier coup à toutes les nations ; il y a donc du réel dans le plaisir musical : mais il y a d’autres plaisirs plus détournés et un style musical particulier à chaque peuple, qui demandent que l’oreille y soit plus ou moins accoutumée ; il entre donc dans ce plaisir de l’habitude.