/ 2350
1188. (1857) Articles justificatifs pour Charles Baudelaire, auteur des « Fleurs du mal » pp. 1-33

La poésie à grandes proportions, la poésie épique, est celle des peuples, non pas barbares, mais peu liseurs, ou qui ne savent pas encore lire et qui sont naturellement plus saisissables par la passion que par la réflexion ; c’est la poésie des époques héroïques ; c’est aussi la poésie des peuples opprimés ou asservis, et c’est pour cela peut-être que la France n’a pas de poème épique. — Le poème didactique est un jeu de rhétoricien qui ne peut être poétique qu’épisodiquement. — Quant au poème démonstratif ou persuasif, à la poésie de propagande, au poème-sermon, au poème-pamphlet, ne sont-ils pas devenus ridicules aujourd’hui qu’un article de journal ou une simple brochure renseigne plus vite et plus nettement ? […] Aujourd’hui, le mot fille est de si mauvais ton, qu’aucune mère, même dans les dernières classes du peuple, ne veut avoir de filles. […] Cette qualité est frappante dès le second morceau, intitulé Bénédiction, où l’auteur présente l’action fécondante du malheur sur la vie du Poète : il naît, et sa mère se désole d’avoir porté ce fruit sauvage, cet enfant si peu semblable aux autres et dont la destinée lui échappe ; il grandit, et sa femme le prend en dérision et en haine ; elle l’insulte, le trompe et le ruine ; mais le Poète, à travers ces misères, continue de marcher vers son idéal, et la pièce se termine par un cantique doux et grave comme un final d’Haydn : Vers le Ciel où son œil voit un trône splendide, Le Poëte serein lève ses bras pieux, Et les vastes éclairs de son esprit lucide Lui dérobent l’aspect des peuples furieux : « — Soyez béni, mon Dieu, qui donnez la souffrance Comme un divin remède à nos impuretés, Et comme la meilleure et la plus pure essence Qui prépare les forts aux saintes voluptés !

/ 2350