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329. (1868) Cours familier de littérature. XXVI « CLIIe entretien. Madame de Staël »

Necker les condensait tous ; mais, par une politique personnelle qui s’appliquait à recruter des partisans dans tous les partis de la pensée, monsieur et madame Necker gardaient une certaine neutralité caressante entre tous ces philosophes et tous ces écrivains, promulguant les principes, ajournant les applications, ménageant les rivalités, vénérant le passé, saluant l’avenir, se réfugiant dans la tolérance pour n’avoir pas à se prononcer entre la philosophie et le christianisme, entre l’aristocratie et le peuple, entre la monarchie et la république. […] C’était un homme déjà mûr d’années, d’une figure noble, d’une distinction de manières qui répondait à sa considération personnelle dans le monde, d’un esprit suffisant pour jouir des succès de sa femme sans prétendre à l’égaler, un de ces hommes qui acceptaient les seconds rangs partout, même dans leur maison. […] La France qui n’a d’aristocratie que dans l’intelligence, et où par conséquent l’aristocratie est personnelle, ne pouvait reconstituer d’une main les priviléges politiques qu’elle détruisait de l’autre. […] lui demanda-t-elle avec une évidente intention de s’attirer une adulation personnelle. « Celle qui a eu le plus d’enfants », lui répondit sèchement Bonaparte, manifestant ainsi, avec une rudesse sans ménagement et sans pitié pour son interlocuteur, qu’elle était à ses yeux une créature hors de son rôle, et que la seule gloire de la femme était la gloire domestique de l’obscurité et de la fécondité, ces deux vertus du foyer de l’homme.

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