Au théâtre, la situation doit dépendre des caractères et non vice-versa ; et alors, si vos caractères à vous ne vivent pas, et que mes personnages à moi marchent et agissent, de quel droit venez-vous me reprocher les lignes tout extérieures d’une « situation » identique à la vôtre ? Au théâtre, celui-là seul est créateur qui insuffle de la vie à ses personnages. […] L’importance des chœurs, le petit nombre des personnages, leur dialogue antithétique, leur qualité sociale, l’usage même du vers, tout cela s’explique, non point par un libre choix de la volonté, mais par la genèse de la tragédie. […] Pourvu qu’on affuble de noms historiques même les personnages les plus fantaisistes, le public peu cultivé croira à leur réalité, puisque souvent il croit même à celle de personnages totalement obscurs ; inversement le public cultivé sera toujours plus sensible à la vraisemblance psychologique qu’à l’authenticité bien établie d’un fait invraisemblable ; Corneille a beau déployer son érudition, Rodogune nous laisse froids. — Que signifie cette obligation que, de nos jours encore, on prétend imposer aux poètes, de respecter la vérité historique ? […] En effet, comment enfermer en 24 heures, en un seul lieu, la genèse et les aventures de plusieurs personnages, le tableau d’une époque (sa philosophie, ses jeux de société et jusqu’à son système monétaire), Jean qui rit et Jean qui pleure, et tout le bouillonnement de la vie totale ?