/ 2928
717. (1861) Cours familier de littérature. XII « LXXIe entretien. Critique de l’Histoire des Girondins (2e partie) » pp. 305-367

Les coups d’État ont besoin de prétexte, la ridicule Montagne de 1849 le fournit au pouvoir exécutif ; elle fit peur à la France d’elle-même, la France s’enfuit dans une dictature : que la responsabilité de l’occasion perdue retombe à jamais sur ceux qui donnent ces paniques aux peuples, et qui montrent les spoliations et les terreurs comme perspective de la liberté ! […] Si c’était pour arriver à ce gouvernement de vaines paroles et d’odieuses intrigues qu’on avait traversé la mer de sang de 1793, le carnage militaire de quinze ans d’empire, la réaction armée de l’Europe contre la France en 1814, le retour du despotisme soldatesque de l’île d’Elbe en 1815, l’expulsion de trois dynasties en un jour de 1830 et les dix ans de dynastie agitatrice en 1840 ; en vérité, le résultat de tant d’efforts pour arriver à diviser la France en deux camps, comme les verts et les bleus du Bas-Empire à Constantinople, entre des ministres, racoleurs de factions, coureurs de majorité au but des portefeuilles dans le stade de la rue de Bourgogne à Paris, en vérité, me disais-je, ce résultat de tant d’événements n’en vaut ni le temps perdu, ni le sang versé, ni la grande émotion des esprits en 1789 par la pensée du dix-huitième siècle, ni la grande convulsion de la Révolution française en 1791. Il faut que le vrai sens de cette révolution ait été perdu en route et dans son histoire. Ne serait-il pas possible de retrouver ce sens vrai de la Révolution française en remontant à son origine et à ses premiers organes, d’en dégager la juste signification des passions et des crimes à travers lesquels elle a perdu son caractère et son but, et de rappeler ainsi la France de 1840 à la philosophie sociale et politique dont elle fut l’apôtre et la victime pour devenir, quoi ? […] II Mais les scandales de ce gouvernement inexpérimenté, qu’on appelait le gouvernement parlementaire, me convainquirent que le pouvoir vraiment national et populaire n’était plus là ; qu’aucune des dynasties rivales tombées, retombées, retombant encore, ne pouvait le reconstituer solidement en elle ; que l’aristocratie y avait renoncé implicitement en donnant un mandat d’éloquence, une procuration d’opinion, au lieu de combattre de sa personne dans ces compétitions d’influence, de popularité et de trône ; que cette classe moyenne exclusive, intéressée, adulée, à qui ses exploitateurs recommandaient de s’adjuger à elle-même le nom et les prétentions d’une aristocratie de second étage, n’était ni assez antique, ni assez enracinée, ni assez large, ni assez populaire, pour affecter le privilège d’un gouvernement national ; qu’elle n’avait rien de permanent, de chevaleresque, de prestigieux, excepté ses industries et ses commerces, aussi mobiles que ses convoitises de monopoles financiers : jalouse en haut, jalousée en bas, menaçante et menacée de toutes parts ; que le dernier mot de la Révolution française ne pouvait être cette petite oligarchie groupée par la peur et par l’orgueil autour d’un roi d’expédient ; que cela allait crouler aux premières lueurs de l’incendie parlementaire allumé par ceux-là même qui l’avaient si mal éteint en 1830 ; qu’il fallait pourvoir d’avance aux catastrophes inévitables de ce gouvernement déjà démoli dans l’opinion des masses, en donnant à ces masses envahissantes une histoire vraie de la Révolution qu’elles auraient bientôt à reprendre en sous-œuvre, afin qu’elles ne s’égarassent pas de nouveau sans plan et sans sagesse dans les démences et dans les crimes qui avaient perdu jusqu’au nom de cette Révolution.

/ 2928