Reportons-nous par la pensée au moment même où l’ouvrage parut, cet ouvrage si neuf, tout rempli et comme émaillé de vues philosophiques et scientifiques élevées, rendues avec piquant, avec imprévu, et se faisant accepter en faisant sourire. […] Je crois en effet que Fontenelle aurait pu tenir un peu plus à ses pensées ; mais ne le prenons pas trop au pied de la lettre, le sage et prudent philosophe. S’il a l’air de céder si aisément et de se dérober quand il a affaire au peuple, c’est-à-dire aux esprits frivoles, esclaves du préjugé et de l’habitude, c’est qu’il ne veut rien céder du fond et qu’il réserve pour un petit nombre, « pour une petite troupe choisie », l’entière originalité et l’intégrité parfaite de ses pensées. […] Remarquez qu’en telle matière où l’on n’aura sans doute jamais de résultats précis, ce qui importe le plus, c’est d’élever sa pensée et de la tenir ouverte, d’atteindre des aperçus, d’entrevoir les vraisemblances, sans aller retomber et verser dans des crédulités d’un autre genre. […] Racine a pu faire de jolies épigrammes contre le Fontenelle poëte et auteur de tragédies ; mais convenons que Fontenelle prend bien sa revanche par la philosophie et la pensée.