L’esprit humain, pour sortir de la routine où il est sujet à s’endormir et à se rouiller, a de temps en temps besoin d’un précepteur philosophique nouveau : ce précepteur excitateur, qui doit quelque peu se mettre à la portée des gens du monde, varie beaucoup selon les pays et selon les temps : tantôt ce sera La Sagesse de Charron, tantôt La Logique de Port-Royal ou même Malebranche en ses Entretiens, tantôt Locke qui, pour la France, fut toujours trop long. […] Ces considérations qu’il présente ont de l’étendue et de la portée ; ne soupçonnant pas que Voltaire est derrière ces questions, il croit répondre à l’arrière-pensée dans laquelle Frédéric l’avait consulté, quand il insiste sur les fortes qualités du soldat russe et sur les circonstances militaires du pays : « Je tiens cet État invincible sur la défensive. » Le moment alors était glorieux pour la Russie ; c’était l’heure des victoires du comte de Münnich, de la prise d’Otchakov ; Frédéric, en sa retraite de Remusberg, en est ému ; il a beau faire l’indifférent et le sage, on s’aperçoit que le sang des Alexandre et des César commence à bouillonner en lui : J’ai reçu, mon cher, voire belliqueuse lettre ; je n’y vois que les triomphes du comte de Münnich et la défaite des Turcs et des Tartares. […] Il n’y a, je le répète, qu’une explication plausible, et que Frédéric lui-même a donnée plus d’une fois depuis : c’est qu’aussitôt à son arrivée au trône, il fut pris d’un ardent désir de s’illustrer aux yeux de l’Europe par quelque fait mémorable et utile à son pays ; il fut comme transporté par un soudain démon de gloire et de renommée : de là la conquête de la Silésie.