I J’ai réservé le plus grand et le plus anglais de ces artistes ; il est si grand et si anglais qu’à lui seul il nous apprendra sur son pays et sur son temps plus de vérités que tous les autres ensemble. […] Tant qu’il était garçon, on avait pu excuser ses excès par cette fougue du tempérament trop fort qui souvent révolte les jeunes gens de ce pays contre le bon goût et la règle ; mais le mariage les range, et c’est le mariage qui acheva de déranger celui-ci. […] Le papier ne suffirait pas, s’il fallait transcrire les injures des revues décentes « contre ces hommes (entendez cet homme) au cœur gâté, à l’imagination dépravée, qui, se forgeant un système d’opinions accommodées à leur triste conduite, se sont révoltés contre les plus saintes ordonnances de la société humaine, et qui, haïssant cette religion révélée dont avec tous leurs efforts et toutes leurs bravades ils ne peuvent entièrement déraciner en eux la croyance, travaillent à rendre les autres aussi misérables qu’eux-mêmes en les infectant d’un poison moral qui les rongera jusqu’au cœur. » Emphase de mandement et pédanterie de cuistre : dans ce pays, la presse fait l’office de gendarme, et jamais elle ne l’y a fait plus violemment qu’alors. […] Il s’y était amusé fougueusement d’abord, plus qu’assez et même plus que trop, presque jusqu’à s’y détruire ; puis après des galanteries vulgaires, ayant rencontré un amour véritable, il était devenu cavalier servant, à la mode du pays, du consentement de la famille, offrant le bras, portant le châle, un peu maladroitement d’abord et avec étonnement, mais en somme plus heureux qu’il n’avait jamais été, et caressé comme par un souffle tiède de volupté et d’abandon. Il y avait vu le renversement de toute la morale anglaise, l’infidélité conjugale érigée en règle, et la fidélité amoureuse érigée en devoir. « Impossible, écrivait-il, de convaincre une femme ici qu’elle manque le moins du monde au devoir et aux convenances en prenant un amoroso… L’amour (le sentiment de l’amour) non-seulement excuse la chose, mais en fait une vertu positive 1303, pourvu qu’il soit désintéressé et pas un caprice, et qu’il se borne à une seule personne. » Un peu plus tard, il traduisait le Morgante Maggiore de Pulci pour montrer « ce qui était permis aux ecclésiastiques en matière de religion dans un pays catholique et dans un âge bigot », et pour imposer silence « aux arlequins d’Angleterre qui l’accusaient d’attaquer la liturgie. » Il jouissait de cette liberté et de cette aise, et comptait bien ne jamais retomber sous l’inquisition pédantesque qui dans son pays l’avait condamné et damné sans rémission.