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528. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre IV. L’âge moderne. — Conclusion. Le passé et le présent. » pp. 424-475

Cherchez maintenant dans les statistiques combien de lieues d’étoffes ils fabriquent chaque année, combien de millions de tonnes ils exportent et importent, combien de milliards ils produisent et consomment ; ajoutez-y les empires industriels ou commerciaux qu’ils ont fondés où qu’ils fondent en Amérique, en Chine, dans l’Inde, en Australie, et peut-être alors, en comptant les hommes et les valeurs, en calculant que leur capital est sept ou huit fois plus grand que celui de la France, que leur population a doublé depuis cinquante ans, que leurs colonies, partout où le climat est sain, deviennent de nouvelles Angleterre, vous atteindrez quelque idée bien sèche, bien imparfaite, d’une œuvre dont les yeux seuls peuvent mesurer la grandeur. […] Partout il y a des chefs reconnus, respectés, qu’on suit avec confiance et déférence, qui se sentent responsables et portent le poids en même temps que les avantages de leur dignité. […] Partout il y a des inférieurs et des supérieurs qui se sentent tels ; le mécanisme du pouvoir établi se dérangerait, qu’on le verrait bientôt se reformer de lui-même ; par-dessous la constitution légale s’étend la constitution sociale, et l’action humaine entre forcément dans un moule solide qui est tout prêt. C’est parce que ce réseau aristocratique est fort que l’action de l’homme peut être libre ; car le gouvernement local et naturel étant enraciné partout, comme un lierre, par cent petites attaches toujours renaissantes, les mouvements brusques, si violents qu’ils soient, ne sont pas capables de l’arracher tout entier ; les gens ont beau parler, crier, faire des meetings, des processions, des ligues, ils ne démoliront pas l’État ; ils n’ont point affaire à un compartiment de fonctionnaires plaqué extérieurement sur le pays, et qui, comme tout placage, peut être remplacé par un autre ; toujours les trente ou quarante gentlemen d’un district, riches, influents, accrédités, utiles comme ils sont, se trouveront les conducteurs du district. « Comme on voit le diable dans les papiers périodiques, disait Montesquieu, on croit que le peuple va se révolter demain. » Point du tout, c’est leur façon de parler ; seulement ils parlent haut, et d’un ton rude.

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