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28. (1864) William Shakespeare « Deuxième partie — Livre I. Shakespeare — Son génie »

L’antithèse de Shakespeare, c’est l’antithèse universelle, toujours et partout ; c’est l’ubiquité de l’antinomie ; la vie et la mort, le froid et le chaud, le juste et l’injuste, l’ange et le démon, le ciel et la terre, la fleur et la foudre, la mélodie et l’harmonie, l’esprit et la chair, le grand et le petit, l’océan et l’envie, l’écume et la bave, l’ouragan et le sifflet, le moi et le non-moi, l’objectif et le subjectif, le prodige et le miracle, le type et le monstre, l’âme et l’ombre ; c’est cette sombre querelle flagrante, ce flux et reflux sans fin, ce perpétuel oui et non, cette opposition irréductible, cet immense antagonisme en permanence, dont Rembrandt fait son clair-obscur et dont Piranèse compose son vertige. […] Vous voici dans le resplendissant jardin des Muses où s’épanouissent en tumulte et en foule à toutes les branches ces divines éclosions de l’esprit que les grecs appelaient Tropes, partout l’image idée, partout la pensée fleur, partout les fruits, les figures, les pommes d’or, les parfums, les couleurs, les rayons, les strophes, les merveilles, ne touchez à rien, soyez discret. […] on doit faire un peu attention aux autres, un seul n’a pas droit à tout, la virilité toujours, l’inspiration partout, autant de métaphores que la prairie, autant d’antithèses que le chêne, autant de contrastes et de profondeurs que l’univers, sans cesse la génération, l’éclosion, l’hymen, l’enfantement, l’ensemble vaste, le détail exquis et robuste, la communication vivante, la fécondation, la plénitude, la production, c’est trop ; cela viole le droit des neutres. […] L’anglais, langue peu faite, tantôt lui sert, tantôt lui nuit, mais partout la profonde âme perce et transparaît.

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