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809. (1870) Portraits contemporains. Tome IV (4e éd.) « LEOPARDI. » pp. 363-422

Pourtant, si l’on a trouvé singulier que Boileau, s’adressant à Molière, lui dise tout d’abord par manière d’éloge : Enseigne-moi, Molière, où tu trouves la rime, il peut sembler également assez particulier que le premier éloge accordé ici à Leopardi soit de s’être passé de la rime, ce qui est possible en italien, mais à de tout autres conditions qu’en français, et ce qui d’ailleurs ne paraît point absolument vrai du savant poëte dont il s’agit. […] On a souvent remarqué cette alliance, au premier abord singulière, du génie poétique et du génie philologique ; mais ici elle a cela de plus particulier encore que le poëte énergique et brûlant qui va nous apparaître ne finit point par la philologie, ne s’y retira point après son premier feu jeté, mais qu’il débuta par là, et que, si ses souffrances précoces ne l’avaient impérieusement détourné des études suivies, c’est de ce côté sans doute qu’il aurait, avant tout, frayé sa voie et poussé sa veine patiente. […] La langue italienne a cela de particulier, d’avoir offert, depuis cinq siècles, plusieurs moments vrais de renaissance ; elle le doit à ce qu’à ses débuts elle eut le bonheur de compter des chefs-d’œuvre. […] Nous aurions pu choisir d’autres pièces encore dans ce même caractère plaintif et passionné ; ce sont les sujets familiers et chers à tout poëte, premier amour, fuite du temps, perte de la jeunesse, réveil du cœur (il Risorgimento), mais relevés ici par une manière particulière de sentir, variations originales sur le thème lyrique éternel. […] Ç’a été par suite de ce même courage, qu’étant amené par mes recherches à une philosophie désespérante, je n’ai pas hésité à l’embrasser tout entière, tandis que, de l’autre côté, ce n’a été que par effet de la lâcheté des hommes, qui ont besoin d’être persuadés du mérite de l’existence, que l’on a voulu considérer mes opinions philosophiques comme le résultat de mes souffrances particulières, et que l’on s’obstine à attribuer à mes circonstances matérielles ce qu’on ne doit qu’à mon entendement.

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