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726. (1881) La parole intérieure. Essai de psychologie descriptive « Chapitre premier. Aperçu descriptif. — Histoire de la question »

Bonald paraît oublier que les idées particulières, pour peu qu’elles soient remarquées, sont aussitôt rapportées à des genres et nommées intérieurement. […] Sans doute, les enfants « ont des images avant d’avoir des idées35 », et le langage visible se développe avant le langage des sons ; sans doute aussi, puisque « la vue est le sens de l’imagination et des corps, l’ouïe celui de l’entendement et des idées36 » les sourds-muets « ne pensent que par images » et « n’ont point d’idées37 » ; les aveugles n’ont point d’images, ne pensent que des idées, au moyen de la seule parole intérieure, et ne peuvent arriver à bien connaître les corps38 ; mais l’homme adulte et pourvu de tous ses sens, « sain d’esprit et de corps » possède un double langage intérieur, qui devient simple lorsque sa pensée se détache des objets sensibles et particuliers pour s’élever jusqu’aux idées. […] A côté du langage audible, seul propre à l’expression des idées générales, spirituelles et morales, il y a le langage visible des gestes, ou « langage d’action », auquel correspond, dans la vie intérieure de l’âme, la succession des images, et qui n’exprime que les idées matérielles et particulières ; ne pouvant exprimer l’idée de l’être et ses temps, il ne peut renfermer aucun verbe. […] II. § 6. ] tandis que tout l’effort mental se porte sur le son, qui est le but du mouvement et l’élément essentiel de la parole ; sur ce point particulier, comme dans toute la doctrine de Maine de Biran, le rôle de la volonté mentale est méconnu : l’âme n’est guère que le moteur des muscles : Maine de Biran a préparé ainsi les voies à la doctrine contemporaine qui fait de l’âme, non plus l’associée dirigeante, mais l’esclave et l’écho passif de l’activité musculaire ; — enfin la véritable parole intérieure, succession d’images, et d’images purement ou principalement sonores, semble être absolument inconnue à Maine de Biran64. […] Bain a dédaigné de consacrer une mention spéciale à la parole intérieure ; il la cite à l’occasion, quand il parle du souvenir et de l’imagination117, mais sans la distinguer assez des autres images, et comme s’il s’agissait d’un fait intermittent sans intérêt particulier : il semble ignorer sa continuité, son rôle dans l’activité psychique, sa prééminence sur les autres images ; la vision est, pour lui, « celui de tous les sens qui retient le plus » et dont les images ont dans la succession psychique le rôle principal118.

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