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401. (1856) Cours familier de littérature. I « IIIe entretien. Philosophie et littérature de l’Inde primitive » pp. 161-239

Ils ont rêvé qu’à l’origine des choses et des êtres l’homme ne fut lui-même qu’une boursouflure de fange échauffée par le soleil, puis douée d’un instinct qui le force au mouvement sans impulsion, puis de quelques membres rudimentaires qu’une intelligence sourde et obtuse dégageait successivement de la boue pour se créer à elle-même des organes ; puis enfin de la forme humaine, se débattant encore pendant des milliers de siècles contre le limon qui résistait au mouvement, puis douée successivement de l’instinct, ce crépuscule de l’âme ; de la raison, ce résumé réfléchi de l’instinct ; du balbutiement, ce prélude de la parole ; et enfin de toutes ces facultés merveilleuses qui font aujourd’hui de l’homme la miniature abrégée et périssable d’un Dieu. […] Il créa un être revêtu d’un corps ; il le vit ; et la bouche de cet être s’ouvrit comme un œuf brisé ; de sa bouche sortit la parole, de la parole sortit le feu ; les narines s’ouvrirent, et des narines sortit le souffle, et du souffle sortit l’air qui se dilate et se répand partout ; les yeux s’ouvrirent, et des yeux jaillit la lumière, et de cette lumière fut produit le soleil ; les oreilles se sculptèrent, et des oreilles naquit le son qui donne le sentiment du loin et du près (des distances) ; la peau s’étendit, et de cet épiderme étendu naquit la chevelure, de cette chevelure de l’homme naquit la chevelure de la terre, les arbres et les plantes ! […] Je n’oublierai jamais ce regard auquel l’étonnement, la douleur, la mort inattendue semblaient donner des profondeurs humaines de sentiment, aussi intelligibles que des paroles ; car l’œil a son langage, surtout quand il s’éteint. […] C’est le Te Deum de l’universalité divine ; la parole y luit comme le feu. […] « Écoute, et retiens maintenant mes dernières paroles », dit en finissant le maître ; « ce sont les plus mystérieuses ; je vais te les dire pour ton bonheur, parce que tu es mon bien-aimé… » Il résume en peu de mots toute cette doctrine au disciple, et lui recommande de ne la révéler qu’à ceux qui l’aiment.

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