Moi-même j’ai essayé vingt fois dans ma vie, à tête reposée, de décrire sur une page en vers ou en prose cette indescriptible figure avec tous les détails des traits, des yeux, de la bouche, des cheveux, de l’attitude, sans avoir jamais pu y réussir. Je déchirais la page après l’avoir écrite ; je jetais la prose ou les vers au vent, comme un peintre jette son pinceau impuissant sur sa toile. […] Le vice est sérieux, le plaisir est folâtre ; la bonne intention et la belle poésie purifient tout à leurs yeux dans l’Arioste : seulement, quand la strophe était un peu trop nue, le canonico jetait son mouchoir sur la page, comme le statuaire chaste jette une draperie ou un feuillage sur une nudité de marbre. […] Aussi l’intérêt et l’attendrissement, qui sont fréquents dans chaque épisode, sont-ils nuls dans l’ensemble ; il n’y a que des pages, il n’y a pas de livre. […] comment êtes-vous resté vivant et immortel, et comme adhérent à ces vieilles pages jaunies, où je vous retrouve comme une fleur entre deux feuillets ?