Le titre des Mémoires était singulièrement emphatique, allégorique et symbolique ; le voici en son entier : Mémoires des sages et royales économies d’État, domestiques, politiques et militaires de Henri le Grand, l’exemplaire des rois, le prince des vertus, des armes et des lois, et le père en effet de ses peuples françois ; Et des servitudes utiles, obéissances convenables et administrations loyales de Maximilian de Béthune, l’un des plus confidents familiers et utiles soldats et serviteurs du grand Mars des François ; Dédiés à la France, à tous les bons soldats et tous peuples françois. […] Cela dit, allons au fond, et de cet amas de narrations trop souvent déduites en style de greffier ou de notaire, tirons ce qu’il y a de solide et d’excellent. — Sully, qui, dans toute la première partie de sa carrière, s’appelle Rosny, né en 1559 au château de ce nom, était le second de quatre fils, mais de fait il fut considéré comme l’aîné par son père, qui de bonne heure plaça sur lui l’espoir de relever sa maison. Le père du jeune Rosny l’appela un jour qu’il avait onze ans dans la chambre de la haute tour, et là, en présence du seul La Durandière, son précepteur, il lui dit : Maximilian, puisque la coutume ne me permet pas de vous faire le principal héritier de mes biens, je veux en récompense essayer de vous enrichir de vertus, et par le moyen d’icelles, comme l’on m’a prédit, j’espère que vous serez un jour quelque chose. […] Rosny, conduit à Vendôme par son père et présenté par lui à Henri, devant la reine Jeanne d’Albret sa mère, lui débita très bien sa petite harangue avec des protestations de lui être à jamais très fidèle et très obéissant serviteur : Ce que vous lui jurâtes en si beaux termes, lui rappellent ses secrétaires, avec tant de grâce et d’assurance, et un ton de voix si agréable qu’il conçut dès lors de bonnes espérances de vous ; et vous ayant relevé, car vous étiez à genoux, il vous embrassa deux fois et vous dit qu’il admirait votre gentillesse, vu votre âge qui n’était que d’onze années, et que vous lui aviez présenté votre service avec une si grande facilité et étiez de si bonne race qu’il ne doutait point qu’un jour vous n’en fissiez paraître les effets en vrai gentilhomme. […] Son père lui écrivit alors qu’il eût à obéir en tout à son maître le roi de Navarre, et à conformer sa conduite à la sienne, à aller à la messe, s’il le fallait, à son exemple, et à courir enfin toutes ses fortunes jusqu’à la mort.