Si je voulais chercher dans l’Avenir de la science tout cet orgueil, toute cette assurance et cette naïve certitude, il me faudrait citer tout l’Avenir de la science, et une aussi énorme citation m’attirerait encore des désagréments avec la maison Calmann Lévy ; ce livre n’est rien s’il n’est pas tout le lourd et le plein évangile de cette foi nouvelle, de cette foi la dernière en date, et provisoirement la définitive ; tout ce livre admirable et véritablement prodigieux, tout ce livre de jeunesse et de force est dans sa luxuriante plénitude comme gonflé de cette foi religieuse ; on me permettra de n’en point citer un mot, pour ne pas citer tout ; nous retrouverons ce livre d’ailleurs, ce livre bouddhique, ce livre immense, presque informe ; car j’ai toujours dit, et j’ai peut-être écrit que le jour où l’on voudra sérieusement étudier le monde moderne c’est à l’Avenir de la science qu’il faudra d’abord et surtout s’attaquer ; le vieux pourana de l’auteur, écrit au lendemain de l’agrégation de philosophie, comme elle était alors, passée en septembre, écrit dans les deux derniers mois de 1848 et dans les quatre ou cinq premiers mois de 1849, le gros volume, âpre, dogmatique, sectaire et dur, l’énorme paquet littéraire, le gros livre, avec sa pesanteur et ses allures médiocrement littéraires, le bagage, le gros volume, le vieux manuscrit, la première construction, les vieilles pages, l’essai de jeunesse, de forme naïve, touffue souvent abrupte, pleine d’innombrables incorrections, le vieil ouvrage, avec ses notes en tas, le mur aux pierres essentielles, demeure pour moi l’œuvre capitale de Renan, et celle qui nous donne vraiment le fond et l’origine de sa pensée tout entière, s’il est vrai qu’une grande vie ne soit malheureusement presque toujours qu’une maturité persévérante réalisée, brusquement révélée dans un éclair de jeunesse ; Renan lui-même en a beaucoup plus vécu, encore beaucoup plus qu’il ne l’a dit dans sa préface ; et le vieux Pourana de l’auteur est vraiment aussi le vieux Pourana du monde moderne ; combien de modernes, le disant, ne le disant pas, en ont vécu ; aujourd’hui encore, inconsciemment ou non, tous nous en vivons, sectaires et libertaires, et, comme le dit Hugo, mystiques et charnels.