V Pendant ce temps-là, bien que vous m’eussiez vu à l’œuvre, et, entre autres jours, le 16 avril 1848, le plus beau jour, le jour du salut, le jour encore mystérieux de ma vie publique, le jour que des calomnies qui seront confondues à leur heure ont cherché à tourner contre moi et dont ils ont voulu me dérober l’honneur et la résolution, bien que ces calomniateurs n’en sachent pas même encore la cause et le secret ; bien que, reconnu par vous au moment où, déguisé, j’échappais à mon triomphe, vous m’ayez dit à l’oreille, enlevé par l’enthousiasme de la bienveillance, un de ces mots que je n’ai jamais oubliés, jamais cités, et qui prouvaient plus que de la justice pour moi dans votre cœur, que faisiez-vous ? […] Cette mère n’avait que vous pour passé, pour présent, pour avenir ; j’aime à me la retracer dans ce petit jardinet de la rue Notre-Dame des Champs, où je causais souvent avec elle en attendant que vous fussiez rentré quand j’allais vous voir ; sa modestie, sa grâce naturelle, sa bonté maternelle, son sourire fin et attendri, le timbre enchanteur de sa voix émue en causant de vous, me rappelaient cette Monique, mère d’Augustin, si bien peinte par Scheffer, quand, dans son geste double, elle presse ici-bas des deux mains les mains de son fils, tandis que ses deux beaux yeux levés au ciel et tournés à Dieu ont déjà oublié la terre et enlèvent l’âme de son enfant dans un regard. […] Il fallut oublier les mystiques tendresses, Et les sonnets d’amour dits à l’écho des bois ; Il fallut, m’arrachant à mes douces tristesses, Corps à corps combattre les rois. […] J’attendrai comme un de ces Anges Aux filles des hommes liés Jadis par des amours étranges, Et pour ces profanes mélanges De Dieu quelque temps oubliés. […] Mais si vous tenez à ce que ce feu soit durable, si vous ne pouvez vous faire à l’idée d’être oublié un jour de ces amis si bons, ô Vous, qui que vous soyez, ne mourez pas avant eux ; car cette sorte d’amitié est tellement aimable et douce qu’elle-même bientôt se console elle-même, et que ce qui reste comble aisément le vide de ce qui n’est plus ; la pensée des amis morts, quand par hasard elle s’élève, ne fait que mieux sentir aux amis vivants la consolation d’être ensemble, et ajoute un motif de plus à leur bonheur.