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513. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « M. Octave Feuillet »

Je sais qu’il y a en tout ceci bien du jeu, que l’art est une chose fort différente de la nature, que ce qui s’appelle roman en particulier est fait pour plaire et amuser à tout prix, et le plus souvent moyennant illusion : je ne voudrais pourtant pas qu’on y mentît par trop, qu’on y donnât des idées par trop fausses et chimériques. et j’ai présent à l’esprit en ce moment la boutade d’un moraliste un peu misanthrope, qui écrivait pour lui seul après la lecture de quelqu’un de ces romans à la Sibylle ou à la Scudéry : « Quand je me reporte en idée aux débuts de l’espèce humaine sur cette terre, à cette longue vie sauvage dans les forêts, à ces siècles de misère et de dureté de l’âge de pierre qui précéda l’âge de bronze et l’âge même de fer ; quand je vois, avant l’arrivée même des Celtes, les habitants des Gaules, nos ancêtres les plus anciens, rabougris, affamés et anthropophages à leurs jours de fête le long des fleuves, dans le creux des rochers ou dans les rares clairières ; — puis, quand je me transporte à l’autre extrémité de la civilisation raffinée, dans le salon de l’hôtel de Rambouillet ou des précieuses spiritualistes de nos jours, chez Mme de Longneville ou chez Mme de…, où l’on parle comme si l’on était descendu de la race des anges, je me dis : L’humanité n’est qu’une parvenue qui rougit de ses origines et qui les renie. […] Ne renions pas nos parents pauvres. — N’étalons pas nos origines, soit ; recouvrons-les même, à condition de ne les oublier jamais. » 6.

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