/ 1877
31. (1874) Premiers lundis. Tome I « Hoffmann : Contes nocturnes »

Dans ses meilleurs contes, là où il se montre réellement inventeur et original, il sait, par les rapprochements fortuits les plus saisissants, par une combinaison presque surnaturelle de circonstances à la rigueur possibles, exciter et caresser tous les penchants superstitieux de notre esprit, sans choquer trop violemment notre bon sens obstiné ; ce qu’il nous raconte alors peut sans doute s’expliquer par des moyens humains, et n’exige pas à toute force l’intervention d’un principe supérieur ; mais, bien que notre bon sens ne soit pas évidemment réduit au silence, et qu’il puisse toujours se flatter de trouver au bout du compte le mot de l’énigme, il y a quelque chose en nous qui rejette involontairement cette explication pénible et vulgaire, et qui s’attache de préférence à la solution mystérieuse dont le leurre nous est de loin offert comme derrière un nuage. C’est dans ce mélange habile, dans cette mesure discrète de merveilleux et de réel que consiste une grande partie du secret d’Hoffmann pour ébranler et émouvoir ; je l’aime bien mieux et le trouve bien plus original en ces sortes de compositions, dont la Cour d’Artus est le chef-d’œuvre, que dans les égarements capricieux d’un fantastique effréné, et les rêveries incohérentes d’une demi-ivresse. […] On sait qu’Hoffmann n’excelle pas moins à peindre les manies et à saisir les ridicules des originaux, qu’à sonder les plaies invisibles des âmes égarées.

/ 1877