Sieyès a le génie ; il est le premier qui, sous forme idéale et un peu absolue, ait eu nettement la conception et l’invention de l’ordre nouveau qui devait remplacer l’ancien ; il est le premier qui l’ait proclamé, à l’heure décisive, dans des écrits précis et lumineux. […] Son but, par cette quantité d’idées et de vues qu’il essayait chaque jour, son vœu du moins bien évident était de clore la Révolution le plus tôt possible, d’arriver à un gouvernement régulier, à l’ordre ; mais les hommes manquaient encore aux choses, et il est souvent infligé aux sociétés en détresse de les désirer longtemps. […] Il put s’y développer avec plus d’étendue, et y offrir une place à ses amis, à l’abbé Morellet qu’il voulait bien appeler son maître et qui lui répondait : « Discipule supra magistrum » ; surtout au jeune Adrien de Lezay qu’on a vu périr préfet de Strasbourg en 1814, et qui s’exerçait alors avec vivacité et talent sur toutes les questions à l’ordre du jour. […] … Ce sont là des scrupules de délicatesse assez rares pour devoir être notés, et qui marquent l’ordre de sentiments véritablement patriotiques qui entraient (au moins de la part de quelques-uns) dans l’acte du 18 Brumaire. […] De même que, dans ce passage qu’on n’a pas oublié, il a énergiquement rendu cette puissance d’organisation fatale qui semblait faite pour engendrer les tyrannies multiples, pour perpétuer l’hydre aux mille têtes et éterniser le chaos, de même ici il rend avec une précision inaccoutumée un idéal d’ordre, d’unité, de lumière, dont il avait sous les yeux l’exemplaire vivant ; en un mot, c’est le tableau de 1802, le contraire de 1792 ; c’est le monde jeune, renaissant merveilleusement après la ruine : Une commission est formée, dit-il, pour la composition d’un Code criminel, une autre pour un Code de commerce.