/ 1941
8. (1889) La critique scientifique. Revue philosophique pp. 83-89

Un critique littéraire estimerait l’émotion « esthétique » ; le psychologue dégagera les émotions « ordinaires » de conservation, de sympathie, qui se trahissent dans l’œuvre. […] Elle n’est rien moins que de savoir si l’émotion esthétique est quelque chose de spécial, ou si elle ne serait pas simplement une « forme inactive » de l’émotion ordinaire, chacune de nos émotions pouvant tour à tour devenir esthétique, et résulter, « avec quelque modification », de la vue ou de l’audition d’une œuvre d’art. […] Lui pourtant, qui accepte avec Spencer, contre Guyau, la théorie de l’art fin en soi, désintéressé, il sent bien que l’art doit avoir sa marque propre, que l’émotion esthétique se distingue en quelque chose des émotions ordinaires, et il recourt, pour se tirer d’embarras, à une hypothèse ingénieuse : « Nous croyons, écrit-il (p. 36), qu’il faudra à l’avenir distinguer dans l’émotion ordinaire (non plus esthétique) : d’une part, l’excitation, l’exaltation neutre qui la constitue, qui est son caractère propre et constant ; de l’autre, un phénomène cérébral additionnel, qui est l’éveil d’un certain nombre d’images de plaisir ou de douleur, venant s’associer au fond originel, le colorer ou le timbrer, pour ainsi dire, et produire la peine ou la joie proprement dites, quand elles comprennent le moi comme sujet souffrant et joyeux. » L’émotion esthétique aurait alors ceci de particulier, que, « tout en conservant intact l’élément excitation », elle « laisse à son minimum d’intensité l’élément éveil des images, etc. ». […] Il suffit d’un assemblage de couleurs, ou de quelques accords plaqués sur un piano, pour me donner une jouissance particulière, où je ne ressens ni terreur, ni colère, ni pitié, et qui n’est pas une émotion ordinaire transformée. […] Dans les produits simples de l’art plastique, dans la poésie de mots, le plaisir paraît dépendre immédiatement de l’excitation ; seules les œuvres dramatiques, parce que leur matériel est l’action humaine, appellent nécessairement un cortège d’émotions ordinaires, pénibles ou joyeuses, qui n’y prennent cependant, pour parler la langue de M. 

/ 1941