Montrant un jour à Eckermann deux de ses poésies dont l’intention était très-morale, mais où le détail offrait par places trop de naturel et de vérité, il se proposait bien de les garder en portefeuille, disait-il, de peur de scandaliser : « Si l’intelligence, si une haute culture d’esprit, remarquait-il à ce propos, étaient des biens communs à tous les hommes, le poëte aurait beau jeu ; il pourrait être entièrement vrai et n’éprouverait pas de crainte pour dire les meilleures choses. […] Car de petits êtres comme nous ne sont pas capables de garder en eux la grandeur de pareilles œuvres ; il faut que de temps en temps nous retournions vers elles pour rafraîchir nos impressions. » Combien ce jugement sur Molière diffère en largeur et en sympathie de celui de Guillaume Schlegel, homme de tant d’érudition et de mérites si divers, mais fermé à quelques égards, auquel il ne fallait pas demander ce que ses horizons ne comportaient pas, et de qui Gœthe disait finement après un entretien très-instructif qu’il venait d’avoir avec lui : « Il n’y a qu’à ne pas chercher des raisins sur les épines et des figues sur les chardons, et alors tout est parfait. » Schlegel, qui est tout raisin et toutes figues quand il nous parle de la Grèce, ne nous a guère offert à nous, Français, quand il a daigné s’occuper de nous et de notre grand siècle littéraire, que ses épines et ses chardons. […] Imaginez-vous maintenant une ville comme Paris où les meilleures têtes d’un grand empire sont toutes réunies dans un même espace, et par des relations, des luttes, par l’émulation de chaque jour, s’instruisent et s’élèvent mutuellement ; où ce que tous les règnes de la nature, ce que l’art de toutes les parties de la terre peuvent offrir de plus remarquable est accessible chaque jour à l’étude : imaginez-vous cette ville universelle, où chaque pas sur un pont, sur une place, rappelle un grand passé, où à chaque coin de rue s’est déroulé un fragment d’histoire.