Il se propose de l’observer et de le décrire en détail, sous plus d’un aspect ; il veut demander à une nature neuve et grandiose des leçons qui ressortent moins vives des spectacles plus habituels auxquels sont faits nos yeux émoussés. […] La vallée du Chéliff, ou plutôt la plaine inégale et caillouteuse ravinée par le Chéliff, s’offre à nous avec son caractère d’aridité surprenante ; le peintre ici se montre tout à nu et nous rend le terrain dans sa crudité géologique, comme le ferait un Saussure qui saurait colorer aussi bien que dessiner : « Imagine (il s’adresse toujours à son ami) un pays tout de terre et de pierres vives, battu par des vents arides et brûlé jusqu’aux entrailles ; une terre marneuse, polie comme de la terre à poterie, presque luisante à l’œil, tant elle est nue ; et qui semble, tant elle est sèche, avoir subi l’action du feu ; sans la moindre trace de culture, sans une herbe, sans un chardon ; — des collines horizontales qu’on dirait aplaties avec la main ou découpées par une fantaisie étrange en dentelures aiguës, formant crochet, comme des cornes tranchantes ou des fers de faux ; au centre, d’étroites vallées, aussi propres, aussi nues qu’une aire à battre le grain ; quelquefois, un morne bizarre, encore plus désolé, si c’est possible, avec un bloc informe posé sans adhérence au sommet, comme un aérolithe tombé là sur un amas de silex en fusion ; — et tout cela, d’un bout à l’autre ; aussi loin que la vue peut s’étendre, ni rouge, ni tout à fait jaune, ni bistré, mais exactement couleur de peau de lion. » Après de telles pages, on n’a plus rien à demander au peintre pour le technique de son art : il s’est traduit en prose avec un ton égal à son objet. […] Le paysagiste pur reparaît dans mainte page, — dans la halte si bien décrite autour du pistachier, cet arbre à tête ronde et aux larges rameaux en parasol, qui abrite un moment à midi la caravane rassemblée : « L’arbre reçoit sur sa tête ronde les rayons blancs de midi ; par-dessous, tout paraît noir ; des éclairs de bleu traversent en tous sens le réseau des branches ; la plaine ardente flamboie autour du groupe obscur ; et l’on voit le désert grisâtre se dégrader sous le ventre roux des dromadaires. » Quand il nous décrit, au contraire, la végétation monotone de l’alfa, espèce de petit jonc, plante utile qui sert de nourriture aux chevaux, mais la plus ennuyeuse aux yeux qui se puisse voir, et qui, régnant sur des étendues infinies, ressemble à « une immense moisson qui ne veut pas mûrir, et qui se flétrit sans se dorer », on retrouve l’homme dont le sentiment souffre et dont l’âme s’ennuie. […] Elle s’est démasquée tout à coup à ses yeux au sortir d’une vallée, — un monticule blanc sur un ciel d’argent mat que ferme une barre violette, et dans l’intervalle une étendue sablonneuse, frappée de lumière. […] Peu à peu, cependant, on voit sortir des porches entrebâillés de grandes figures pâles, mornes, vêtues de blanc, avec l’air plutôt exténué que pensif ; elles arrivent les yeux clignotants, la tête basse, et se faisant, de l’ombre de leur voile, un abri pour tout le corps, sous ce soleil perpendiculaire.