Qu’on se représente bien (pour s’en donner toute l’impression), et le cadre, et l’auditoire, et l’orateur : Ne vous semble-t-il pas, disaient après des années les témoins qui l’avaient entendu, ne vous semble-t-il pas le voir encore dans nos chaires avec cet air simple, ce maintien modeste, ces yeux humblement baissés, ce geste négligé, ce ton affectueux, cette contenance d’un homme pénétré, portant dans les esprits les plus brillantes lumières, et dans les cœurs les mouvements les plus tendres ? […] Massillon en chaire n’avait presque point de gestes : cet œil qu’il baissait d’abord, qu’il tenait baissé d’habitude, lorsqu’ensuite, à de rares intervalles, il le levait et le promenait sur l’auditoire, lui faisait le plus beau des gestes ; il avait, a dit l’abbé Maury, l’œil éloquent . […] nous ne sommes que des comédiens. » N’oublions jamais que, dans cette éloquence si copieuse et si redoublée, chacun des auditeurs trouvait, à cause de cette diversité même d’expressions sur chaque point, la nuance de parole qui lui convenait, l’écho qui répondait à son cœur ; que ce qui nous paraît aujourd’hui prévu et monotone parce que notre œil, comme dans une grande allée, dans une longue avenue, court en un instant d’un bout de la page à l’autre, était alors d’un effet croissant et plus sûr par la continuité même, lorsque tout cela, du haut de la chaire, s’amassait, se suspendait avec lenteur, grossissait en se déroulant, et, ainsi qu’on l’a dit de la parole antique, tombait enfin comme des neiges. […] J’ai sous les yeux son Oraison funèbre du prince de Conti publiée en 1709, et avec des notes critiques, écrites à la main en marge par un contemporain qui avait assisté à la cérémonie même et qui marque les différences entre le morceau imprimé et le morceau débité8.