Il était évident, toutefois, pour quiconque étudiait de près Mme Roland avec l’intérêt et l’attention qu’elle mérite, que pendant des années, — durant les dix premières années de son mariage, — elle avait été tout entière occupée et absorbée par les soins maternels, les devoirs domestiques, le désir de cultiver son esprit et d’accroître ses connaissances ; l’amour près d’elle avait eu tort ; elle n’avait ni cherché ni rencontré. […] En sortant de mon lit, je m’occupe de mon enfant et de mon mari ; je fais lire l’un, je donne à déjeuner à tous deux, puis je les laisse ensemble au Cabinet, ou seulement la petite avec la bonne quand le papa est absent, et je vais examiner les affaires de ménage, de la cave au grenier ; les fruits, le vin, le linge et autres détails fournissent chaque jour à quelque sollicitude ; s’il me reste du temps avant le dîner (et notez qu’on dîne à midi, et qu’il faut être alors un peu débarbouillée, parce qu’on est exposé à avoir du monde que la maman aime à inviter), je le passe au cabinet, aux travaux que j’ai toujours partagés avec mon bon ami. […] Dès que je suis libre, je remonte au cabinet commencer ou continuer d’écrire ; mais, quand le soir arrive, le bon frère nous rejoint ; on lit des journaux ou quelque chose de meilleur ; il vient parfois quelques hommes ; si ce n’est pas moi qui fasse la lecture, je couds modestement en l’écoutant, et j’ai soin que l’enfant ne l’interrompe pas, car il ne nous quitte jamais, si ce n’est lors de quelque repas de cérémonie : comme je ne veux point qu’il embarrasse personne ni qu’il occupe de lui, il demeure à son appartement ou il va promener avec sa bonne et ne paraît qu’à la fin du dessert.