D’abord ce n’est pas du bonheur dont j’ai cru offrir le tableau : les alchimistes seuls, s’ils s’occupaient de la morale, pourraient en conserver l’espoir ; j’ai voulu m’occuper des moyens d’éviter les grandes douleurs. […] Le législateur prend les hommes en masse, le moraliste un à un ; le législateur doit s’occuper de la nature des choses, le moraliste de la diversité des sensations ; enfin, le législateur doit toujours examiner les hommes sous le point de vue de leurs relations entre eux, et le moraliste considérant chaque individu comme un ensemble moral tout entier, un composé de plaisirs et de peines, de passions et de raison, voit l’homme sous différentes formes, mais toujours dans son rapport avec lui-même. […] Excluant, jusqu’au mot de pardon, qui semble détruire la douce égalité qui doit exister entre le consolateur et l’infortuné ; ce n’est pas des torts, mais de la douleur qu’il importe de s’occuper ; c’est donc au nom du bonheur seul que j’ai combattu les passions. […] Si l’objet qui vous est cher vous est enlevé par la volonté de ceux dont elle dépend, vous pouvez ignorer à jamais ce que votre propre cœur aurait ressenti, si votre amour, en s’éteignant dans votre âme, vous eût fait éprouver ce qu’il y a de plus amer au monde, l’aridité de ses propres impressions ; il vous reste encore un souvenir sensible, seul bien des trois quarts de la vie ; je dirai plus, si c’est par des fautes réelles dont le regret occupe à jamais votre pensée, que vous croyez avoir manqué le but où tendait votre passion, votre vie est plus remplie, votre imagination a quelque chose où se prendre, et votre âme est moins flétrie que si, sans événements malheureux, sans obstacles insurmontables, sans démarches à se reprocher, la passion par cela seulement qu’elle est elle, eût, au bout d’un certain temps, décoloré la vie, après être retombée sur le cœur qui n’aurait pu la soutenir. […] Une distraction absolue étant impossible, j’ai essayé si la méditation même des objets qui nous occupent, ne conduisait pas au même résultat, et si, en approchant du fantôme, il ne s’évanouissait pas plutôt qu’en s’en éloignant.