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621. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Corneille. Le Cid, (suite.) »

Il ne pouvait guère en être autrement, et cela est vrai, en général, de ces grandes figures, quelles qu’elles soient, devenues la matière et l’objet de la légende : on peut dire d’elles, avec certitude qu’il n’y a jamais de si grande fumée sans feu. […] En ce qui est du Cid en particulier, et quel que soit le contraste de ce qu’il est devenu dans la poésie à ce qu’il s’est montré dans l’histoire, il y a quelque raison pourtant à ce travail d’adoucissement et d’épuration dont il a été l’objet. Personnage redouté, guerrier puissant, acharné, vrai démon, vrai diable à quatre, et qui sut se conquérir à lui seul une manière de couronne, deux faits surnagent et dominent dans sa vie d’exploits et de ruses, d’entreprises et de rapines : il a été, somme toute, et malgré ses alliances avec les mécréants, un reconquistador, un reconquéreur de l’Espagne sur les Arabes ; il reprit Valence et conçut le projet de faire plus encore ; — et aussi il fut l’objet de la part de son roi d’une persécution et d’une grande injustice, de laquelle il se vengea par des victoires réitérées, éclatantes. […] Ainsi on le voit, par degrés, se former, se civiliser et devenir l’objet d’un culte délicat, ce Cid qui dans la réalité, au xie  siècle, ne guerroyait que « pour avoir de quoi donner l’orge aux siens et de quoi manger. » Il garde pourtant encore, dans ce poème du commencement du xiiie  siècle, plus d’un trait de sa rude et primitive nature.

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