Tout ce qui s’offre directement aux sens ou à la conscience, tout ce qui est objet d’expérience, soit extérieure soit interne, doit être tenu pour réel tant qu’on n’a pas démontré que c’est une simple apparence. […] Le rythme de la parole n’a donc d’autre objet que de reproduire le rythme de la pensée ; et que peut être le rythme de la pensée sinon celui des mouvements naissants, à peine conscients, qui l’accompagnent ? […] Il vous dira que les objets matériels n’ont plus pour lui la solidité, le relief, la réalité d’autrefois. […] Si vraiment mon souvenir visuel d’un objet, par exemple, était une impression laissée par cet objet sur mon cerveau, je n’aurais jamais le souvenir d’un objet, j’en aurais des milliers, j’en aurais des millions ; car l’objet le plus simple et le plus stable change de forme, de dimension, de nuance, selon le point d’où je l’aperçois : à moins donc que je me condamne à une fixité absolue en le regardant, à moins que mon œil s’immobilise dans son orbite, des images innombrables, nullement superposables, se dessineront tour à tour sur ma rétine et se transmettront à mon cerveau. […] Et pourtant il est incontestable que ma conscience me présente une image unique, ou peu s’en faut, un souvenir pratiquement invariable de l’objet ou de la personne : preuve évidente qu’il y a eu tout autre chose ici qu’un enregistrement mécanique.