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641. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Théophile Gautier (Suite et fin.) »

Il ne ferait pas de cas d’un peintre qui se contenterait de prendre, fût-ce le plus dextrement du monde, la ressemblance exacte des choses, et de la jeter sur la toile, telle quelle, avec une couleur congrue et suffisante : il veut que l’artiste ait en lui un monde en petit ou en grand, une sorte de glace magique où tout se réfléchisse, se transforme et ressorte ensuite, quand on l’y considère, avec une harmonie nouvelle qui constitue proprement la création et l’originalité. […] » Il le redit, non moins excellemment, dans un article sur Ary Scheffer, en faisant remarquer que cet esprit si distingué et si élevé n’a pas assez compris que la pensée pittoresque n’avait rien de commun avec la pensée poétique : « Un effet d’ombre ou de clair, une ligne d’un tour rare, une attitude nouvelle, un type frappant par sa beauté ou sa bizarrerie, un contraste heureux de couleur, voilà des pensées comme en trouvent dans le spectacle des choses les peintres de tempérament, les peintres nés. » Aussi, tout en rendant justice aux sentiments et aux intentions épurées de ce « poète de la peinture » comme il l’appelle, il ne l’a loué en toute sincérité et franchise que pour certains portraits où le sens moral n’a fait qu’aiguiser l’observation et donner plus de vie à la vérité. […] Dans cette espèce d’Élysée bizarre et bachique qu’on se figure aisément pour ces libres et un peu folâtres esprits d’avant Louis XIV, il me semble d’ici les voir, à cette heure de réveil, à cette nouvelle d’un regain si inattendu : l’Ombre du joyeux Saint-Amant a tressailli ; le poète Théophile se tient pour consolé et vengé dorénavant de ses disgrâces ; Scarron a bondi d’aise sur son escabeau, et Cyrano enfin, retroussant sa moustache, passe et repasse en idée, plus fier que jamais, sur ce Pont-Neuf populeux où une double haie de bourgeois et de marauds ébahis l’admire.

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