. — Nous répondrons que la simple appréhension ou aperception est déjà un jugement : remarquer une sensation nouvelle, une brûlure au contact du feu, c’est juger implicitement qu’il y a du nouveau et du douloureux, c’est attribuer une valeur objective à la brûlure, c’est être dans le monde réel, non dans un monde de sensations-fantômes, toutes subjectives. […] Entre la représentation familière du rocher immobile et la représentation nouvelle du rocher tombant, qui contredit l’autre, il y a un moment de conflit ; il y a opposition entre les forces acquises tendant à faire concevoir le rocher immobile et la force nouvelle tendant à le faire concevoir comme mouvant. […] Au reste, répétons qu’une seule expérience peut suffire pour déterminer l’antécédent véritable d’un phénomène, si l’on est certain que cet antécédent est la seule condition nouvelle qui ait été introduite dans l’ensemble des conditions préexistantes. Dans une solution d’iodure de potassium je verse du bi-chlorure de mercure et j’obtiens immédiatement un précipité ; je suis certain que la seule chose nouvelle introduite dans la solution a été le sel de mercure ; donc c’est ce sel qui a produit immédiatement la série de phénomènes aboutissant au précipité. […] Mais cette infériorité de la représentation par rapport au réel crée aussi une supériorité : elle rend possible le monde des idées, qui n’est pas une pure copie du monde réel, mais un prolongement de la réalité dans la pensée, et où la réalité même prend une direction nouvelle : le monde des idées est ainsi, sous tous les rapports, un monde de forces.