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789. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Journal et mémoires du marquis d’Argenson, publiés d’après les manuscrits de la Bibliothèque du Louvre pour la Société de l’histoire de France, par M. Rathery » pp. 238-259

On doit des remerciements à tous ceux qui nous apportent sur quelque partie de l’histoire des informations et des lumières nouvelles : on en doit à ceux même qui nous les apportent à contrecœur et en grondant51 ; à plus forte raison, à ceux qui le font de bonne grâce, dans la seule vue du public et par zèle pour la vérité. […] L’auteur du nouveau journal, très bien placé pour voir et pour savoir, n’est presque pas un auteur ; il ne pense pas du tout à faire un livre, mais à se satisfaire, à se soulager, à se rendre compte de l’état présent et de la circonstance qui l’obsède, à donner jour à ses vues, à ses espérances, à ses boutades. […] Ainsi, parlant des colonies anglaises de l’Amérique du Nord, et prédisant leur émancipation future et leur séparation de la métropole, prophétisant avec un enthousiasme anticipé la grandeur gigantesque de ces nouveaux États-Unis dès qu’ils travailleront pour eux et non plus pour d’autres : « Quelle supériorité, s’écrie-t-il, sur toutes les autres colonies de mercenaires, gouvernants intéressés, troupes mal disciplinées, recrues lentes, ordres lents, peu de force, peu de zèle, puisqu’il faut tirer son âme de si loin !  […] Chauvelin vient de causer avec d’Argenson pendant deux heures dans son cabinet ou dans les allées de Grosbois, ou de le promener dans son carrosse par les rues de Paris, quand il a l’air de le consulter et de le vouloir avancer, il lui paraît avoir l’étoffe d’un grand ministre et être le dernier de la grande école de Richelieu, de Louis XIV : notre homme s’enflamme pour lui, il compte sur lui ; il le considère, dans le ministère du vieux cardinal, comme le bras nerveux d’un cerveau sénile ; il le voit déjà comme l’âme énergique d’un nouveau ministère, le vainqueur de Maurepas et de la faction des marmousets dans une nouvelle journée des Dupes ; il lui souhaite la prochaine succession de Fleury, qu’il croit prête à s’ouvrir à l’amiable, et en augure bien pour la grandeur et la restauration politique de la France. […] La mort du dernier grand-duc, qui ne laissait pas d’enfants (1737), vint, selon lui, rouvrir des facilités nouvelles.

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