C’est ainsi qu’Alfred de Musset dit très exactement : Un vers d’André Chénier chanta dans ma mémoire 235 Mais si, avec des mots du dictionnaire usuel, je forge intérieurement une phrase que je n’ai jamais entendue, ce qui arrive sans cesse, les uns pourront dire que j’imagine, car l’ensemble conçu est nouveau, les éléments seuls sont anciens ; les autres pourront soutenir que, les mots étant faits pour être groupés de mille façons, on n’invente pas dans les mots, c’est-à-dire dans la parole, quand on se borne à les ranger dans un ordre nouveau, mais seulement quand on crée de toutes pièces un mot nouveau. […] Un semblable idéal ne saurait être conçu pour l’imagination, car l’innovation expérimentale ne se suffit pas à elle-même ; elle suppose tout au moins des atomes d’états de conscience qui ne sont pas nouveaux et qui se laissent arranger capricieusement. […] III, § 2] ; le plus souvent, l’imagination s’ajoute à la mémoire, les matériaux fournis par le souvenir étant employés à former des composés plus ou moins nouveaux. […] Elle n’est pas assujettie à puiser éternellement l’existence dans le sein maternel de la sensation ; après l’allaitement quotidien des premières années, elle persiste à vivre dans des conditions nouvelles ; on la dirait douée, comme un animal adulte, d’une vitalité qui lui est propre. […] Contre cet anéantissement graduel, l’âme est défendue par l’expérience et l’imagination, puissances d’innovation et de renouvellement, qui introduisent sans cesse dans la succession des éléments nouveaux, doués, avant tout effet de l’habitude, d’une intensité et d’une durée propres ; et elle se défend elle-même par l’attention, puissance qui tantôt vivifie et renforce les états nouveaux en prolongeant leur durée et en augmentant leur intensité, tantôt restaure les états passés en leur conférant à chaque reproduction une durée plus grande et une intensité plus forte.