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335. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Le général Jomini. [I] »

Les bornes posées par les Alexandre, les Annibal et les César furent atteintes ou même dépassées, et de nouveau l’on put dire : Rien au-delà ! […] Frédéric le Grand, par ses actions glorieuses, par une série d’exemples et d’opérations d’un ensemble et d’un ordre supérieurs à ce qui avait précédé, vint renouveler la matière des raisonnements et ouvrit le champ de la théorie : il suscita de nouveaux historiens et des critiques dignes de lui. […] « Il était venu, comme l’a remarqué Jomini, un demi-siècle trop tôt ; il avait écrit dans un temps où la vraie tactique de son héros était encore méconnue, où un nouveau César n’y avait pas encore mis le complément. » Deux écrivains militaires du plus grand mérite n’avaient pas attendu toutefois le nouveau César pour entendre et commenter Frédéric : Lloyd, un Anglais qui servit avec distinction chez diverses puissances du continent, et Tempelhof, un général prussien, un savant dans les sciences exactes. […] Frédéric restait pour lui le plus grand des capitaines qui avaient suivi l’ancien système ; mais il avait cru devoir montrer ce qu’il eût pu faire en inventant le système nouveau. C’était, selon lui, « l’unique moyen de poser le grand problème, de manière à le résoudre. » Son esprit juste, son jugement essentiellement modéré, en rabattront assez plus tard et bientôt, dès après Iéna et à partir d’Eylau, dès qu’il verra poindre et sortir les fautes et les exagérations du système nouveau et du génie qui l’avait conçu ; il dira alors, en rentrant dans la parfaite vérité : « Loin de moi la pensée de décider si le roi légitime de la Prusse, ne voulant que défendre son trône et son pays, pouvait provoquer, dès 1756, cette révolution immense dans l’art militaire qu’un soldat audacieux autant qu’habile introduisit, quarante ans après, par la force des événements qui l’entraînait !

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