Je résumerai cette éducation en un seul mot : le jeune Gargantua se conduit déjà comme le plus cancre et le plus glouton des moines de ce temps-là, commençant sa journée tard, dormant la grasse matinée, débutant par un déjeuner copieux, entendant nombre de messes qui ne le fatiguent guère, et en tout adonné au ventre, au sommeil et à la paresse. […] Après le repas viennent les cartes, mais c’est encore pour apprendre sous ce prétexte mille petites gentillesses et inventions nouvelles, qui toutes dépendent de l’arithmétique et des nombres. […] Lucien, dans un dialogue entre Vénus et Cupidon, avait fait demander par la déesse à son fils pourquoi il respectait tant les muses, et l’enfant avait répondu quelque chose de ce que Rabelais va reprendre, amplifier en ces termes et embellir : Et me souvient avoir lu que Cupido, quelquefois interrogé de sa mère Vénus pourquoi il n’assailloit les Muses, répondit que il les trouvoit tant belles, tant nettes, tant honnêtes, tant pudiques et continuellement occupées, l’une à contemplation des astres, l’autre à supputation des nombres, l’autre à dimension des corps géométriques, l’autre à invention rhétorique, l’autre à composition poétique, l’autre à disposition de musique, que, approchant d’elles, il débandoit son arc, fermoit sa trousse et éteignoit son flambeau, de honte et crainte de leur nuire.