Longtemps les dieux combattront contre « les Iotes glacés », contre les noires puissances bestiales, contre le loup Fenris, qu’ils tiendront enchaîné, contre le grand Serpent, qu’ils plongeront dans la mer, contre le perfide Loki, qu’ils lieront sur des rochers, sous une vipère dont le venin distillera incessamment sur son visage. […] Il y a tel chant, un chant de funérailles, où c’est la Mort qui parle, l’un des derniers composés en saxon, d’un christianisme terrible, et qui en même temps semble sortir des plus noires profondeurs de l’Edda. […] Chaque fois qu’il y pense, il la voit intérieurement, comme une rapide apparition lumineuse, et chaque fois sous une face nouvelle, tantôt ondulant sur les vagues limoneuses entre deux bandes « d’écume », tantôt allongeant sur l’eau son ombre énorme, noire, haute comme celle « d’un château, « tantôt enfermant dans ses « flancs caverneux » le fourmillement infini des animaux entassés. […] « Il n’y avait encore — rien qui fût, — sauf l’obscurité, — comme d’une caverne ; — mais le vaste abîme — s’ouvrait profond et obscur, — étranger à son Seigneur, — sans forme encore et sans usage. — Sur lui le roi sévère — tourna les yeux, — et contempla le gouffre triste. — Il vit les noirs nuages — se presser sans repos, — noirs, sous le ciel — sombre et désert. — Il fit d’abord, l’éternel Seigneur ! […] … — La terre n’était pas encore — verte de gazon ; — mais l’Océan, — noir d’une obscurité éternelle, — au loin et au large — couvrait les chemins déserts66. » Ainsi parlera plus tard Milton, héritier des voyants hébreux, dernier des voyants scandinaves, mais muni, pour développer sa pensée, de toutes les ressources de l’éducation et de la civilisation latines.