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676. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « L’abbé Prévost »

Prémunis par là contre bien des agitations insensées, sachons nous tenir à un calme grave, à une habitude réfléchie et naturelle, qui nous fasse tout goûter selon la mesure, nous permette une justice clairvoyante, dégagée des préoccupations superbes, et, en sauvant nos productions sincères des changeantes saillies du jour et des jargons bigarrés qui passent, nous établisse dans la situation intime la meilleure pour y épancher le plus de ces vérités réelles, de ces beautés simples, de ces sentiments humains bien ménagés, dont, sous des formes plus ou moins neuves et durables, les âges futurs verront se confirmer à chaque épreuve l’éternelle jeunesse. […] L’écrivain qui nous l’a peinte restera apprécié dans le calme, comme étant arrivé à la profondeur la plus inouïe de la passion par le simple naturel d’un récit, et pour avoir fait de sa plume, en cette circonstance, un emploi cher à certains cœurs dans tous les temps. […] Les Mémoires d’un Homme de qualité nous semblent sans contredit, et Manon à part, Manon qui n’en est du reste qu’un charmant épisode par post-scriptum, — nous semblent le plus naturel, le plus franc, le mieux conservé des romans de l’abbé Prévost, celui où, ne s’étant pas encore blasé sur le romanesque et l’imaginaire, il se tient davantage à ce qu’il a senti en lui ou observé alentour. […] Antérieur par sa manière au règne de l’analyse et de la philosophie, il ne copie pourtant pas, en l’affaiblissant, quelque genre illustré par un formidable prédécesseur ; son genre est une invention aussi originale que naturelle, et dans cet entre-deux des groupes imposants de l’un et de l’autre siècle, la gloire qu’il se développe ne rappelle que lui. […] On lit dans les lettres de l’aimable madame de Staal (De Launay) à M. d’Héricourt : « J’ai commencé la Grecque à cause de ce que vous m’en dites : on croit en effet que mademoiselle Aïssé en a donné l’idée ; mais cela est bien brodé, car elle n’avait que trois ou quatre ans quand on l’amena en France. » Mademoiselle Aïssé, mademoiselle De Launay, l’abbé Prévost, trois modèles contemporains des sentiments les plus naturels dans la plus agréable diction !

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