Section 37, que les mots de notre langue naturelle font plus d’impression sur nous que les mots d’une langue étrangere Une preuve sans contestation de la superiorité des vers latins sur les vers françois, c’est que les vers latins touchent plus, c’est qu’ils affectent plus que les vers françois, les françois qui sçavent la langue latine. Cependant l’impression que les expressions d’une langue étrangere font sur nous, est bien plus foible que l’impression que font sur nous les expressions de notre langue naturelle. […] Or ce n’est que durant les premieres années de notre vie que la liaison entre un certain mot et une certaine idée se fait si bien, que ce mot nous paroisse avoir une énergie naturelle ; c’est-à-dire une proprieté particuliere, pour signifier la chose dont il n’est cependant qu’un signe institué arbitrairement. Ainsi quand nous avons appris dès l’enfance la signification du mot aimer, quand ce mot est le premier que nous aïons retenu pour exprimer la chose dont il est le signe, il nous paroît avoir une énergie naturelle, bien que la force que nous lui trouvons vienne uniquement de notre éducation, et de ce qu’il s’est saisi, pour ainsi dire, de la premiere place dans notre memoire. Il arrive même que lorsque nous apprenons une langue étrangere après que nous sommes parvenus à un certain âge, nous ne rapportions point immediatement à leur idée les mots de cette langue étrangere, mais bien aux mots de notre langue naturelle, qui sont associés avec ces idées là.