Qu’il chante ouvertement ou sous voile d’allusion les douleurs et les oppressions de la patrie, qu’il se reporte aux calamités, aux espérances ou aux plaintes de l’Italie et de la Grèce, qu’il raille au théâtre certains préjugés, qu’il flétrisse certaines tyrannies, il est toujours aisément d’accord avec ce que sont tentées de penser et de sentir sur ces sujets la plupart des natures droites et saines, des jeunes âmes écloses du milieu de notre société et formées par notre éducation libérale. […] On y peut remarquer une sorte de transition à sa seconde manière ; il cherche à s’y rapprocher de plus près de la nature, à prendre son point de départ dans la réalité : ainsi, dans le Miracle, il s’inspira de la vue d’un enfant mort, qu’il avait vu entouré de cierges et paré de ses beaux habits, au moment où un jeune frère, dans sa naïve ignorance, s’approchait du mort en lui offrant un jouet. […] Nous autres critiques qui, à défaut d’ouvrages, nous faisons souvent des questions (car c’est notre devoir comme aussi notre plaisir), nous nous demandons, ou, pour parler plus simplement, Messieurs, je me suis demandé quelquefois : Que serait-il arrivé si un poëte dramatique éminent de cette école que vous m’accorderez la permission de ne pas définir, mais que j’appellerai franchement l’école classique, si, au moment du plus grand assaut contraire et jusqu’au plus fort d’un entraînement qu’on jugera comme on le voudra, mais qui certainement a eu lieu, si, dis-je, ce poëte dramatique, en possession jusque-là de la faveur publique, avait résisté plutôt que cédé, s’il n’en avait tiré occasion et motif que pour remonter davantage à ses sources à lui, et redoubler de netteté dans la couleur, de simplicité dans les moyens, d’unité dans l’action, attentif à creuser de plus en plus, pour nous les rendre grandioses, ennoblies et dans l’austère attitude tragique, les passions vraies de la nature humaine ; si ce poëte n’avait usé du changement d’alentour que pour se modifier, lui, en ce sens-là, en ce sens unique, de plus en plus classique (dans la franche acception du mot), je me le suis demandé souvent, que serait-il arrivé ? […] bienveillant par nature, exempt de toute envie, il ne put jamais admettre ce qu’il considérait comme des infractions extrêmes à ce point de vue primitif auquel lui-même n’était plus que médiocrement fidèle ; il croyait surtout que l’ancienne langue, celle de Racine, par exemple, suffit ; il reconnaissait pourtant qu’on lui avait rendu service en faisant accepter au théâtre certaines libertés de style, qu’il se fût moins permises auparavant, et dont la trace se retrouve évidente chez lui à dater de son Louis XI. […] Une de ces bonnes, de ces excellentes, de ces enviables ou regrettables manières consiste (et la nature de notre versification semble y convier les rares élus) à revêtir sa pensée d’harmonie continuelle et d’élégance, à oser par moments, et par moments à se dérober, à préparer l’énergie, à voiler l’audace, à semer de grâces insensibles, de tours ingénieux, de figures heureuses et appropriées un tissu net, flexible et brillant.