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429. (1889) Écrivains francisés. Dickens, Heine, Tourguénef, Poe, Dostoïewski, Tolstoï « Charles Dickens »

Si l’on examine minutieusement les moyens qu’emploie Dickens pour faire apparaître et vivre la multitude d’êtres divers qui peuplent ses livres, on reconnaîtra que ses caractères et ses portraits sont tracés par le dehors, à gros traits et de premier aspect, comme par un artiste improvisateur qui note et peint sur un coup d’œil. […] Le dialogue est pour lui le moyen le plus court, le plus aisé et le plus intéressant par lui-même, de caractériser une multitude de créatures grimaçantes et risibles, plus composées que reproduites d’après nature et dont le spectacle, comme pour les personnages de vaudeville et les traîtres de mélodrame, est plus fait pour amuser ou effrayer que pour donner à connaître quelque variété insigne de notre espèce. […] S’il s’attaque à des gens moyens, ni ridicules ni surprenants, mais simples, naturels et vertueux, le romancier anglais ne parvient à Créer que de pâles ombres sans vie, de paroles banales, d’actes insignifiants et qui restent ternes et nuls d’un bout à l’autre du livre. […] Telle est la galerie des personnages de Dickens ; une série d’êtres grimaçants, contournés, drôlatiques, outrageusement méchants ou risibles, les plus nombreux et les plus importants dans l’œuvre, dessinés grâce à leurs copieux propos et à leurs manières de dire ; une série d’êtres moyens, raisonnables et bons, invariablement manqués ; quelques gens plus complexes et plus semblables par là aux hommes véritables, mais bizarres et presque fantastiques qui sont connus par des indications éparses, entre lesquelles le lecteur est chargé de se figurer des caractères d’autant plus intéressants qu’ils sont plus vagues. […] On sait si Dickens se prive de consacrer de longs passages aux commentaires personnels introduits à propos ou hors de propos dans la trame de son récit, comment son style est trépidant et empanaché, comment, même dans la narration pure, dans le dialogue, la description, il trouve moyen de marquer sans cesse ce qu’il pense de ce qu’il raconte.

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