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253. (1890) L’avenir de la science « XIII »

Mais je ne peux approuver un William Jones, qui, sans être philosophe, déverse son activité sur d’innombrables sujets, et, dans une vie de quarante-sept ans, écrit une anthologie grecque, une Arcadia, un poème épique sur la découverte de la Grande-Bretagne, traduit les harangues d’Isée, les poésies persanes de Hafiz, le code sanscrit de Manou, le drame de Çakountala, un des poèmes arabes appelés Moallakat, en même temps qu’il écrit un Moyen pour empêcher les émeutes dans les élections et plusieurs opuscules de circonstance, le tout sans préjudice de sa profession d’avocat. Encore moins puis-je pardonner ce coupable morcellement de la vie scientifique qui fait envisager la science comme un moyen pour arriver aux affaires et prélève les moments les plus précieux de la vie du savant. […] Et, en supposant même (ce qui est vrai) que les détails demeurent nécessaires pour l’intelligence des résultats généraux, les moyens, les machines, si j’ose le dire, par lesquelles les Prinsep et les Lassen ont déchiffré cette page de l’histoire humaine auront à peu près perdu leur valeur, ou seront tout au plus conservés comme bas-reliefs sur le piédestal de l’obélisque qu’ils auront servi à élever. « Les érudits du XIXe siècle, dira-t-on, ont démontré… » Et tout sera dit. […] La gloire des premiers explorateurs est d’être dépassée et de donner à leurs successeurs les moyens par lesquels ceux-ci les dépasseront. « Mais cette gloire est immense, et elle doit être d’autant moins contestée par celui qui vient le second que lui-même n’aura vraisemblablement aux yeux de ceux qui plus tard s’occuperont du même sujet que le seul mérite de les avoir précédés 115. » L’oubli occupe une large place dans l’éducation scientifique de l’individu. […] Pour le dire en passant, je ne conçois qu’un moyen de sauver cette précieuse collection et de la conserver maniable, c’est de la clore et de déclarer, par exemple, qu’il n’y sera plus admis aucun livre postérieur à 1850.

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