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694. (1863) Cours familier de littérature. XV « LXXXVIIe entretien. Considérations sur un chef-d’œuvre, ou le danger du génie. Les Misérables, par Victor Hugo (5e partie) » pp. 145-224

Tout ce pêle-mêle de grisettes, de filles perdues, de vieillards désespérés, d’étudiants goguenards, de philosophes radicaux, de braves rêveurs, de héros sans cause, est d’un mouvement désordonné qui peint bien l’imagination populaire un jour de révolution. […] Ce lit innocent qui se découvre, cette adorable demi-nudité qui a peur d’elle-même, ce pied blanc qui se réfugie dans une pantoufle, cette gorge qui se voile devant un miroir comme si ce miroir était une prunelle, cette chemise qui se hâte de remonter et de cacher l’épaule pour un meuble qui craque ou pour une voiture qui passe, ces cordons noués, ces agrafes accrochées, ces lacets tirés, ces tressaillements, ces frissons de froid et de pudeur, cet effarouchement exquis de tous les mouvements, cette inquiétude presque ailée là où rien n’est à craindre, les phases successives du vêtement aussi charmantes que les nuages de l’aurore, il ne sied pas que tout cela soit raconté, et c’est déjà trop de l’indiquer. […] N’est-ce pas misère que d’aspirer follement à une égalité impossible des conditions, égalité tellement impraticable que, si l’utopiste la créait un instant, tout mouvement, et par conséquent tout ce que l’auteur appelle le progrès, s’arrêterait à l’instant, car le grand ressort de l’horloge humaine, le désir, serait à l’instant brisé ? […] « — Dieu est peut-être mort, disait un jour à celui qui écrit ces lignes Gérard de Nerval, confondant le Progrès avec Dieu, et prenant l’interruption du mouvement pour la mort de l’Être. […] Et ce combat sans espérance, et cette disparition stoïque, ils l’acceptent pour amener à ses splendides et suprêmes conséquences universelles le magnifique mouvement humain irrésistiblement commencé le 14 juillet 1789 ; ces soldats sont des prêtres.

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