Et d’autre part, il est peut-être plus foulé que l’esclave antique, parce que l’esclave antique, qui vous appartient, qui est un capital à vous, que vous devez ne pas laisser mourir pour ne pas perdre ce capital, vous le nourrissez et le faites travailler à force de terreur ou de coups, mais non pas par la menace de mourir de faim, ce qui fait qu’il est « une propriété chanceuse et de difficile exploitation » ; tandis que l’ouvrier moderne, sans qu’il y ait la moindre oppression, ni la moindre pression, ni même la moindre mauvaise intention de votre part, se nourrissant lui-même, subit, pour ne pas mourir, les plus terribles diminutions de salaire et va jusqu’aux dernières limites et de travail et de privations que la concurrence lui impose, précisément parce qu’il est propriétaire de sa personne, libre et triste victime de sa franchise, esclave de sa liberté. […] A connaître les siècles passés ils se sont habitués à voir les idées mourir, ce qui les amène à tenir pour essentiellement mortelles et éphémères les idées vivantes. […] Il le ruine d’autant plus qu’il est mort, et parce qu’il est mort, prouvant ainsi que tout doit mourir. […] « Vous aurez fait de beaux raisonnements sur les races ou les époques prosaïques ; mais il plaira à Dieu que Pindare sorte un jour de Béotie et qu’André Chénier naisse et meure au xviiie siècle. » Il est donc bon de situer l’artiste, non dans sa nation et son siècle, mais plus simplement dans le cercle de ses habitudes et de ses relations, cercle plus ou moins étendu, selon que l’artiste a été plus recueilli ou plus répandu, mais toujours assez restreint.