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657. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Chateaubriand — Chateaubriand, Vie de Rancé »

Malheur à qui a reçu dès le berceau ce don de la Muse, cet art d’évocation et de poésie, l’incurable magie des mots harmonieux, cette magie, elle aussi, qui ensorcelle ! […] Un jour un visiteur à la Trappe en toucha un mot au saint abbé : « Il me répondit qu’il avoit brûlé tout ce qui lui en restoit d’exemplaires, qu’il n’en avoit gardé qu’un dans sa bibliothèque et qu’il l’avoit donné à M. […] En un mot, il y avait de la foi jusque sous le libertinage de ces temps-là, et il se glisse du scepticisme jusque dans nos croyances philosophiques d’aujourd’hui, et pourquoi ne pas ajouter : jusque dans nos professions chrétiennes ? […] Mille serments couvrent le papier, où se reflètent les roses de l’aurore ; mille baisers sont déposés sur les mots qui semblent naître du premier regard du soleil ; pas une idée, une image, une rêverie, un accident, une inquiétude qui n’ait sa lettre. […] Les serments vont toujours leur train ; ce sont toujours les mêmes mots, mais ils sont morts ; l’âme y manque : je vous aime n’est plus là qu’une expression d’habitude, un protocole obligé, le j’ai l’honneur d’être de toute lettre d’amour.

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