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1362. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME ROLAND — II. » pp. 195-213

Elle regrettait sa Sophie durant la promenade délicieuse, et les lettres suivantes redoublaient cette teinte du sentiment, grand mot d’alors, couleur régnante durant la dernière moitié du dix-huitième siècle. […] Si cette lettre désirée arrive durant un dîner de famille, on ne peut s’empêcher de l’ouvrir aussitôt, devant tous ; on oublie qu’on n’est pas seule, les larmes coulent, et les bons parents de sourire, et la grand’mère de dire le mot de toutes les pensées : « Si tu avais un mari et des enfants, cette amitié disparaîtrait bientôt, et tu oublierais Mlle Cannet. » Et la jeune fille, racontant à ravir cette scène domestique, se révolte, comme bien l’on pense, à une telle idée : « Il me surprend de voir tant de gens regarder l’amitié comme un sentiment frivole ou chimérique. […] » Ce mot de rompre est bien dur : mais pourquoi donc, ô jeune fille, votre amitié semble-t-elle s’exalter en ces moments mêmes où vous avez quelque aveu plus tendre à confier ? […] quel mot ! […] Sur l’aimable et sage M. de Boismorel, qui joue un si beau rôle dans les Mémoires ; sur Sévelinges l’académicien89, qui n’est pas non plus sans agrément ; sur certain Genevois moins léger, et « dont l’esprit ressemble à une lanterne sourde qui n’éclaire que celui qui la tient ; » sur toutes ces figures de sa connaissance et bientôt de la nôtre, elle jette des regards et des mots d’une observation vive, qui plaisent comme ferait la conversation même.

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