Il est mort tragiquement à trente et un ans, et ce qu’il nous a laissé d’achevé ou d’inachevé est incomparable. […] André Chénier, cette aurore de poète, plus délicieux, comme le soleil, à l’aurore, que s’il avait atteint la frénésie de son disque flamboyant à midi, tient de son destin cette fortune de ne nous apparaître qu’à travers trois ou quatre chefs-d’œuvre absolus capables à eux seuls d’immortaliser un homme, et les mœnia interrupta du génie arraché brutalement à son œuvre par une mort sanglante. Il a la poésie de cette mort par-dessus la poésie de sa poésie. […] Il suffit d’avoir, au berceau, étouffé des serpents, et André Chénier, dès le berceau de sa poésie lyrique, en a étouffé… Supposez que cette tête rêveuse de pasteur grec n’eût pas été tranchée par l’un des derniers coups de la guillotine de Thermidor, et qu’André Chénier, mort à trente et un an, eût échappé à l’échafaud et eût pu répandre dans des vers plus nombreux, dans des pièces de plus longue haleine, la masse d’indignation et d’horreur qui s’était entassée en lui, et qui aurait fait, en ces vers vengeurs, avalanche, la littérature n’aurait peut-être pas, en poésie, d’œuvre plus belle ! Seulement, et je parle à ceux qui sont poètes en quelque degré, si l’œuvre avait été plus belle, le poète, privé de la poésie de sa mort sanglante, aurait assurément été moins beau… V Or, c’est précisément (répétons-le une dernière fois !)